Parashat Yitro – פרשת יתרו

בס”ד

Parashat Yitro – פרשת יתרו

Shémot 18 à 20

Notre parasha commence par l’irruption de Yitro, beau-père de Moshé, qui vient rendre grâce à Hashem pour avoir sauvé Israël, et le proclamer « plus grand que toutes les autres divinités ». Il va ensuite suggérer à Moshé une organisation plus rationnelle et décentralisée de son système judiciaire.

Nous arrivons ensuite au cœur de la parasha, constitué par la révélation du Sinaï, et le don de la Tora.

Rappelons brièvement qu’elle est constituée de deux tables de pierre, ou les Dibérot, les commandements, ont été gravées par Dieu. La table de « droite » comporte les cinq premiers commandements relatifs à la relation au divin, ou le commandement d’honorer ses parents sert d’articulation avec la seconde table.

Sur celle-ci figure le second groupe de cinq Dibérot, qui concernent la relation à autrui. Les voici :

  • Tu ne commettras pas d’homicide. לא תרצח
  • Tu ne commettras pas d’adultère. לא תנאף
  • Tu ne voleras pas.לא תגנב
  • Tu ne rendras pas contre ton prochain de faux témoignage. לא תענה ברעך עד שקר
  • Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain. לא תחמוד. …

Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, son esclave ni sa servante, son bœuf ni son âne, ni rien de ce qui est a ton prochain. לא תחמוד……

La réflexion que je vous propose porte sur ce dixième commandement, לא תחמוד– tu ne convoiteras pas, expression remplacée par לא תתאוה–  tu ne désireras pas, dans la répétition des commandements figurant dans la parasha Vaéthanan (tu ne convoiteras pas…….tu ne désireras pas….).

On est fondé à se demander quelle est la nature de ce commandement, s’il ne fait pas double emploi avec ceux qui le précèdent, est-ce qu’il en est « la conclusion ». Si c’était le cas, on ne parlerait pas alors de « dix », mais de « neuf «  commandements.

Certains commentateurs le considèrent comme un interdit portant sur la pensée de l’individu.  Mais comment un commandement pourrait-il interdire, ou limiter la pensée ou les sentiments, même les plus secrets de l’homme, même lorsqu’ils ne débouchent pas sur une action ?

 

Cette question est longuement étudiée par le Rav Elhanan Sametעיונים בפרשות השבוע)  ), qui apporte les analyses du Rambam, de Moshé Cassouto, de Philon d’Alexandrie, et de Rabbi Abraham Ibn Ezra.

J’essaierai de résumer leurs différents points de vue.

L’interdit de « convoiter » comme protection d’interdits plus graves

Le Rambam, dans les Halakhot portant sur le vol, décrit l’enchainement infernal qui mène du désir à la convoitise. Si par exemple, le propriétaire de l’objet convoité rejette toutes les offres d’achat, on peut arriver au vol, et même au meurtre. Il cite l’édifiante histoire du roi Ah’Av, qui convoitait la vigne de Navot avec une telle violence, que le pauvre agriculteur le paya de sa vie (Rois 1/21).

La convoitise débouche souvent sur des fautes beaucoup plus graves, telles que le vol, l’adultère ou le meurtre.

L’interdit « tu ne convoiteras pas » semble jouer le rôle d’une barrière destinée à prévenir la violation d’interdits beaucoup plus graves, et qui portent atteinte à autrui.

La difficulté de ce raisonnement, est qu’il fait d’un des dix commandements,  le simple complément de ceux qui le précédent, ce qui lui fait perdre sa spécificité et son autonomie.

L’interdit comme protection du « prochain » contre la convoitise

Il semble que le fait de convoiter ce qui appartient à autrui -sa maison, sa femme-  est perçu comme une atteinte à son prochain, même si ce sentiment reste enfoui, et n’est pas suivi d’un passage à l’acte. Le simple fait de désirer constituerait déjà un dépassement moral des limites de propriété.

Moshé David Cassouto, exégète biblique italien installé en Israël, considère que le 10eme commandement apporte un interdit original : l’homme doit s’interdire non seulement de passer à l’acte, mais aussi de désirer ce qui est à autrui.

L’interdit comme protection du « convoitant » lui-même

Les deux explications qui précédent voient dans le commandement לא תחמוד une protection d’autrui, contre des violations encore plus graves, qu’elles soient matérielles ou de l’ordre des sentiments et des émotions.

La limitation que ce commandement apporte au niveau du ressenti intime de l’homme mène à un autre niveau de considérations :

Ce commandement aurait pour but d’éduquer l’homme lui-même, de l’amener à la pureté de l’âme, et la débarrasser des désirs et convoitises qui lui portent atteinte.

Il est une Mishna des Pirkei Avot – les Maximes des Pères-  qui se préoccupe essentiellement  du transgresseur lui-même :

הקנאה והתאוה והכבוד מוציאין את האדם מן העולם

La jalousie, le désir (ou la convoitise), et le Kavod excluent l’homme du monde.

Quelques mots de Philon d’Alexandrie, philosophe juif contemporain de la naissance du Christianisme, qui défend ce point de vue :

«  A partir du moment ou un homme fait une fixation sur une personne ou une chose qui ne lui appartient pas, ou n’est pas à sa portée, et aspire à la posséder, il entre dans un état de tension très forte, à la pensée de l’objet désiré et inaccessible. La convoitise constitue pour l’homme un « supplice de Tantale »…Il vit en insatisfaction permanente, n’est jamais rassasié, et tourne autour de sa vaine aspiration ».

 Comment est-il possible à l’homme de ne pas désirer une belle chose, dans son cœur ?

La réponse de Rabbi Abraham Ibn Ezra :

Ce grand commentateur du moyen-âge revient souvent sur cette question : Est-il possible d’ordonner à l’homme de ne pas convoiter ce que son cœur désire ? Est-il possible de contrôler la pensée et le sentiment, et de s’empêcher de désirer le beau appartenant à autrui ? D’autant que nombreux sont ceux qui prétendent qu’il n’y a pas de faute au niveau de la pensée (du point de vue Halakhique), et qu’aucune sanction n’y est rattachée.

En d’autres termes, une personne incapable de s’empêcher de désirer secrètement quelque chose de beau, n’aurait rien transgressé.

A l’encontre de ces explications « psychologiques », Ibn Ezra donne un exemple illustré : Un paysan plein de bon sens, qui verrait la fille du roi qu’il trouverait très belle, ne la convoiterait pas avec le désir secret de la posséder, car il sait que la chose n’est pas possible. Il existe des objets potentiels du désir, qui ne viennent même pas a l’esprit, tant notre éducation nous a habitués à les considérer comme interdits.

 

Ainsi, poursuit Ibn Ezra, tout être sensé doit savoir que l’on a une belle épouse, ou de l’argent, par la volonté divine. Et qu’il n’y a pas lieu de désirer ou de convoiter. Quand il saura que la femme de son prochain lui est interdite, elle aura à ses yeux un statut encore plus élevé que la princesse pour le paysan….

Pour Ibn Ezra, l’être qui a choisi de vivre les valeurs de la Tora accepte les principes qui président à ses relations avec ce qui l’entoure.

A la question « comment est-il possible à l’homme de ne pas désirer une belle chose, dans son cœur », il nous appartient de nous éduquer nous-mêmes, pour être capable de voir de belles choses, de les admirer, sans pour autant que celà suscite en nous le désir irrépressible de nous les approprier.

Shabbat Shalom

Dvar Charles et Herve JUDAISME