Quelques reflexions sur Vayéshev et Mikets

בס”ד

Quelques reflexions sur Vayéshev et Mikets
Beréshit chapitres 37 à 44

Le premier chapitre de Mikets est entièrement consacré aux rêves de Pharaon, auxquels Yossef, précipitamment tiré de prison, va apporter les explications que l’on connait, et qui le mèneront au sommet du pouvoir en Egypte.

La famine n’épargnera pas Eretz Israël, et Yaakov charge ses fils, les frères de Yossef, d’aller chercher du ravitaillement en Egypte.

Les dix frères (ils sont douze, mais Yossef est absent, et Binyamin reste avec son père) se mettent en route, et arrivent en Egypte. Ils se présentent, et se prosterne devant l’homme fort du pays : Yossef.

וירא יוסף את אחיו ויכרם ויתנכר אליהם

ויכר יוסף את אחיו והם לא היכירוהו

“Yossef vit ses frères et les reconnut et ne se fit pas connaitre d’eux…

« Yossef reconnut ses frères et eux ne le reconnurent pas ». (42/7-8)

On remarquera la présence insistante du terme « connaitre » ou « reconnaitre ».

Rashi apporte deux commentaires :

-Yossef et ses frères ne se reconnaissent pas pour des raisons liées à l’apparence physique : lui les reconnait, car ils avaient déjà de la barbe la dernière fois qu’ils s’étaient vus, alors qu’eux ne peuvent le reconnaitre, car lui était alors imberbe.

-Rashi rapporte ensuite un Midrash-Hagada qui va relier cette retrouvaille aux circonstances tragiques de leur dernière rencontre :

מ”א: ויכר יוסף את אחיו: כשנמסרו בידו הכיר שהם אחיו ורחם עלהם.

והם לא היכירוהו: כשנפל בידם לנהוג בו אחוה.

“Midrash Hagada: Yossef reconnut ses frères: lorsqu’ils furent livrés entre ses mains, il les reconnut comme frères, et eut pitié d’eux.

« Et eux ne le reconnurent pas (comme frère) lorsqu’il tomba entre leurs mains, et ne lui manifestèrent pas de la fraternité ».

Parmi les dix frères prosternés devant Yossef, se trouve Yéhouda.

Petit « flash-back »: Parashat Vayéshev.

L’idée de vendre Yossef vient de Yéhouda. Après la vente, les frères égorgèrent un chevreau, et y trempèrent la tunique de Yossef, pour faire croire à leur père que Yossef avait été tué par une bête sauvage.

Ils dirent à Yaakov :

הכר נא הכתונת בנך היא אם לא?

“Reconnais s’il te plait, est-ce la tunique de ton fils, ou non?” (37.3)

Apres cet épisode, le texte nous dit :

ויהי בעת ההיא וירד יהודה מאת אחיו…

“Ce fut en ce temps-la que Yéhouda descendit de ses frères…(38/1)

Se demandant pourquoi ce texte, qui va nous conter l’épisode de Yéhouda et Tamar, vient interrompre l’épisode de la vente de Yossef, Rashi s’appuie sur la « descente » de Yéhouda.

ללמד שהורידוהו אחיו מגדולתו כשראו בצרת אביהם אמרו: אתה אמרת למכרו. אילו אמרת להשיבו הינו שומעים לך

“C’est pour nous apprendre que ses frères l’avaient « destitué » de sa grandeur lorsqu’ils virent la peine de leur père ils dirent : c’est toi qui a dit de le vendre. Si tu avais dit de le ramener, nous t’aurions obéi ».

L’épisode de Yéhouda et Tamar, qui va suivre, est connu.

Arrive à Adoullam, Yéhouda épousa la fille de Shoua. Elle lui donna trois fils, Er, Onan et Shéla. Yéhouda maria Er à Tamar. Dieu fit mourir Er en raison de sa perversité. Le second fils, Onan, se conforma à la règle du Yiboum (Lévirat), en épousant la veuve de son frère, mais il mourut aussi.

Le troisième fils de Yéhouda, Shéla, étant trop jeune pour épouser Tamar, celle-ci dut se résoudre à rester veuve jusqu’à ce que Shéla soit en âge de la prendre pour femme. Le temps passa, et Shéla n’épousa toujours pas Tamar.

Lorsque la femme de Yéhouda mourut, Tamar, se faisant passer pour une prostituée, se mit en travers de la route de son beau-père qui alla avec elle. Il promit de lui faire porter un chevreau en paiement, et lui laissa en gage, son sceau, son manteau et son bâton.

Lorsque Yéhouda envoya le chevreau, la « prostituée » s’était volatilisée, et les gages restèrent chez Tamar.

Trois mois s’écoulèrent, et on vint annoncer à Yéhouda que sa belle-fille s’était prostituée, et était enceinte.

Yéhouda ordonna qu’elle soit brulée. Elle envoya alors dire à son beau-père qu’elle était enceinte de l’homme à qui appartenaient les trois objets, et elle ajouta :

הכר נא למי החתמת והפתילים והמטה האלה

ויכר יהודה ויאמר צדקה ממני כי-על-כן לא נתתיה לשלה בני…

“Reconnais s’il te plait à qui appartiennent ce sceau, ce manteau et ce bâton.

Et Yéhouda reconnut et dit : elle est dans son droit plus que moi, c’est qu’en effet je ne l’ai pas donnée à Shéla mon fils» (38/25-26)

Les propos de Tamar et Yéhouda ne sont pas anodins, comme nous le montre la guémara Sota 10/2 :

אמר רבי שמעון בן יוחי: נוח לו לאדם שיפיל עצמו לתוך כבשן האש, ולא ילבין פני חברו ברבים. מנלן? מתמר: הכר נא

“Rabbi Shimon Ben Yohay a dit: il est préférable pour quelqu’un de se jeter dans une fournaise, plutôt que de faire pâlir son prochain en public. D’où l’apprenons-nous ? De Tamar, quand elle envoie dire « reconnais s’il te plait ».

La guémara poursuit à propos de Yéhouda :

אמר רבי חמא ברבי חנינא: בהכר בישר לאביו, בהכר בישרוהו.

בהכר בישר: הכר- נא הכתונת בנך היא

בהכר בישרוהו: הכר-נא למי החותמת…ויכר יהודה ויאמר: צדקה ממני

« Rabbi Hama fils de Rabbi Hanina a dit : avec « reconnais » il annonça à son père (la mort de Yossef), avec « reconnais » on vint lui annoncer (pour Tamar).

Avec « reconnais » Yéhouda annonca à son père : reconnais s’il te plait est-ce la tunique de ton fils.

Avec « reconnais » on annonça à Yéhouda : reconnais s’il te plait à qui appartiennent le sceau, le manteau et le bâton…Yéhouda reconnut… »

Le Midrash Raba vient renforcer un peu plus cette intertextualité (Vayéshev 80/19) :

אמר רבי יוחנן: אמר הקדב”ה ליהודה: אתה אמרת “הכר-נא”, חייך שתמר אומרת לך “הכר-נא”

“Rabbi Yohanan a dit: Hashem a dit à Yehouda: Toi qui a dis (à ton père Yaakov) “reconnais s’il te plait” (la tunique de Yossef), je te promets que Tamar te dira « reconnais s’il te plait » (a qui appartiennent ces objets) ».

Le message de Tamar – Reconnais s’il te plait – rouvre chez Yéhouda une blessure mal cicatrisée liée à la vente de Yossef, en faisant écho au « reconnais s’il te plait » adressé par Yéhouda à son père Yaakov, en lui présentant la tunique ensanglantée de Yossef.

L’aveu public et réparateur de Yéhouda est un Tikoun qui va le rendre digne de régner sur Israël (Tossefta-Berakhot) :

מפני מה זכה יהודה למלכות? מפני שהודה במעשה תמר

“Pour quelle raison Yéhouda a-t-il mérité la royauté? A cause du fait d’avoir reconnu (sa responsabilité) dans l’affaire de Tamar ».

On remarquera que le Midrash utilise הודה – reconnu, racine du nom de Yéhouda.

Et enfin, une Remarque du Midrash Rabba sur Mishpatim:

למה נתן הקב”ה כתר ליהודה? …אלא שדן דין אמת לתמר…

“Pourquoi Hashem a-t-il couronne Yéhouda? Car il a juge Tamar avec vérité ».

En d’autres termes, est digne de régner, ou d’accéder aux responsabilités, celui qui comme Yéhouda, a la grandeur de reconnaitre la vérité, même lorsqu’elle contrarie ses intérêts ou son prestige.

Shabbat Shalom

Dvar Charles et Herve JUDAISME