Parashat Vaygash

בס”ד

Parashat Vaygash פרשת ויגש
Beréshit chapitres 44 à 47

 

On se souvient que la parasha précédente, Mikets, s’était achevée sur une très forte tension consécutive à la décision de Yossef de retenir Binyamin prisonnier. C’est alors que commence notre parasha

ויגש אליו יהודה…

« Yéhouda s’approcha de lui… » et entama une longue plaidoirie, tantôt soumise, tantôt menaçante.

Cette scène dramatique trouve son apothéose dans les émouvantes retrouvailles entre Yossef et ses frères stupéfaits.

Les frères repartent, avec des charettes chargées des meilleurs produits d’Egypte, et annoncent la bonne nouvelle à leur père. Celui-ci se met en route pour l’Egypte, avec tout ce qu’il possède.

Notre parasha consacre ensuite un long développement au recensement des membres de la famille de Yaakov descendus en Egypte.

La famille s’installe au pays de Goshen, ou Yossef vient au devant de son père. Celui-ci est ensuite présenté a Pharaon.
La parasha détaille ensuite les mesures économiques prises par Yossef, alors que les années de famine font des ravages dans le pays.

J’ai volontairement abrégé ce résumé de la parasha, pour consacrer cette réflexion à un thème récurrent dans la littérature rabbinique consacrée aux « parashiot de Yossef » :

Deux messies : le Messie fils de Yossef, et le Messie fils de David, un sujet qui fait l’objet d’un cours de Rabbi Aharon Frankel, sur lequel nous reviendrons plus loin.

Mais auparavant, je vous propose une fois de plus un « flash-back » dans la parasha Vayéshev, décidément fondatrice à bien des égards.

 

Le premier chapitre de Vayéshev (chap. 37) traite de la vente de Yossef, et s’achève sur

והמדנים מברו אתו אל מצרים לפוטיפר סריס פרעה שר הטבחים

“Et les Madianites le vendirent en Egypte à Poutifar officier (ennuque?) de Pharaon, chef des bouchers » (verset 36).

Le chapitre suivant (38) change radicalement de sujet, du moins en apparence :

ויהי בעת ההיא וירד יהודה מאת אחיו ויט עד איש עדולמי ושמו חירה

 « Ce fut en ce temps la que Yéhouda descendit de ses frères , et s’achemina chez un habitant d’Adoullam, nomme Hira » (37/1).

La totalité du chapitre 38 sera consacrée au récit de Yéhouda et Tamar, avec la fin heureuse que l’on connait : Yéhouda finit par épouser sa belle-fille deux fois veuve de ses fils. Leur union donnera naissance à deux fils, Pérets, et Zérah.

Après cet « intermède qui n’a rien à voir », le chapitre 39 et les suivants, reprennent le récit des péripéties de Yossef en Egypte, de ses malheurs à ses heures de gloire, dans Mikets et Vaygash.

A propos de « Ce fut en ce temps-la – ויהי בעת ההיא », le Midrash Rabba fait un « arrêt sur image » (85/1) :

רבי שמואל בן נחמי פתח:( ירמיה כ”ט) כי אנוכי ידעתי את המחשבות

“Rabbi Shmouel Ben Nahami introduit  (Jérémie 29): Car moi je connais les pensées »

ויהי בעת ההיא:

  • שבטים היו עסוקים במכירתו של יוסף
  • ויוסף היה עסוק בשקו ובתעניתו
  • ראובן היה עסוק בשקו ובתעניתו
  • ויעקב היה עסוק בשקו ובתעניתו
  • ויהודה היה עסוק ליקח לו אישה
  • והקב”ה היה עסוק בורא אורו של מלך המשיח

« Ce fut en ce temps-la » :

-Les tribus (frères de Yossef) s’occupaient de la vente de Yossef

-Yossef, Réouven et Yaakov, s’occupaient de leur deuil (leur sac et leur jeune)

-Yéhouda s’occupait de prendre femme

Et Hashem s’occupait de créer la lumière du roi Messie

En fait, pour Rabbi Shmouel Ben Nahami, tous ces événements font partie du projet divin, et préparent le terrain à « la lumière du roi Messie ».

Ce midrash est suivi d’un second, toujours à propos de « ce fut en ce temps-la » introduit par un verset  d’Isaïe 66/7 :

בטרם תחיל ילדה – avant d’éprouver les douleurs, elle a enfanté.

קודם שלא נולד משעבד הראשון נולד גואל האחרון

מה כתיב למעלה מן העניין? והמדנים מכרו אתו…

« Avant que soit né le premier qui les asservira, est né le libérateur ultime

« Qu’est-il écrit avant notre sujet (Yéhouda…) ? « Et les Madianites le vendirent en Egypte… »

Rashi, à propos de ce midrash : «  il fait briller la lumière du roi-Messie » qui sortira de Tamar. « Le libérateur ultime » est Pérets, d’où viendra le roi-Messie.

Et le commentateur du midrash Matanot Kéhouna vient préciser : « le premier qui les asservira, c’est Pharaon. Le libérateur ultime, c’est le Messie fils de David, qui naitra de Pérets fils de Yéhouda ».

On le voit, loin de se contenter d’une lecture littérale de notre texte, le midrash nous projette vers la perspective messianique, dont nous retrouverons la filiation en conclusion du livre de Ruth :

Ruth et Boaz ont un fils, appelé Oved « qui est le père de Yshay, père de David ».

S’ensuit une généalogie qui part de Pérets fils de Yéhouda, pour aboutir à David.

On constate qu’un fort accent est mis sur la vocation messianique de Yéhouda, alors que celle de Yossef brille par sa discrétion.

Venons-en maintenant au texte de Rabbi Frankel sur les deux Messies, Mashiah ben Yossef, et Mashiah Ben David, dont je ne vous présenterai qu’un pâle résumé.

Quelques textes

Tout part d’un texte du prophète Zacharie, annonçant pour la « fin des temps », que les peuples se réuniront contre Jérusalem, et seront détruits. Le texte parle de quelqu’un qui sera percé de coups d’épée, et que les habitants de Jérusalem pleureront « comme on pleure un premier-né…en ce jour, il y aura un grand deuil à Jérusalem. »

La guémara (Souka 52a) essaie de comprendre ce deuil.

Selon l’opinion majoritaire, il s’agit du deuil du Mashiah ben Yossef. Au cours des guerres de Gog et Magog, ou s’affrontent de grandes puissances, serait tué le Machiah ben Yossef.

La guémara cite ensuite une beraita qui annonce que lorsque le Mashiah ben David se révélera, Hashem lui dira : demande moi ce que tu désires, je te le donnerai. Ayant vu que le Mashiah ben Yossef avait été tué, il demanda la vie. Hashem lui répondit : avant que tu ne l’aies demandée, je l’avais déjà accordée à ton père (David).

Tout ceci appelle un certain nombre de questions.

Quelle est la nécessité de ce messianisme double, l’un en échec, et l’autre accompli ?

Que représentent David et Yossef ?

Comment ces deux personnalités se projettent-elles en Mashiah ben Yossef et Mashiah ben David ?

Petit rappel historique :

Des la mort du roi Salomon, le royaume se divise. Dix tribus constituent le Royaume du nord, appelé aussi Royaume de Joseph, ou encore Royaume d’Ephrayim, ou d’Israël. Ces dix tribus se sont assimilées et perdues, et devraient revenir a l’ère messianique, selon une opinion dans le Talmud.

Les tribus de Yéhouda et Binyamin constituent le second royaume. Les Juifs que nous sommes viennent de la dispersion de ce royaume.

Un texte du prophète Ezéchiel annonce la réunification de ces deux royaumes sous l’autorité de David (Juda), acceptée par les tribus de Yossef.

Alors cessera la rivalité d’Efrayim (Yossef) et de Yéhouda (David).

Ces textes donnent l’image d’un peuple juif « à deux visages », l’un Yossef, et l’autre David.

Cette rivalité se prolongerait jusqu’à la fin des temps, puisqu’il est question d’un Messie selon Yossef, et d’un Messie selon Yéhouda, ou David.

Rabbi Yéshaya Horowitz (appelé Shla, acronyme du titre de son œuvre « Shnei Louhot Habérit »), écrit que le Mashiah ben Yossef viendra comme précurseur, délivrer les Juifs de l’exil, et les ramener en Eretz Israël. Il devra faire la guerre aux nations. Il réussira à les vaincre, mais il ne réussira pas à convaincre.

Alors que le Mashiah ben David réussira lui, à se faire reconnaitre par les nations, et à faire en sorte que le monde reconnaisse la vérite.

Mais pourquoi un messianisme à « double détente » ?

Rabbi Frankel propose une présentation originale de Yossef, dont le Mashiah ben Yossef est la « projection eschatologique » (de la fin des temps).

La dimension de Yossef

Joseph serait l’archétype de deux Juifs célèbres, Marx et Freud.

Joseph interprète les rêves, et planifie l’économie de l’Egypte. On connait les conseils qu’il a donnés à Pharaon.

Nous voyons dans la fin de notre parasha, Joseph nationaliser les troupeaux, ponctionner tout l’argent, et nationaliser les terres, et même les hommes. Mais il y a plus. Il y avait trop de gens dans les campagnes, Yossef les transfère vers les villes. Il déplace des populations du nord au sud, du sud au nord,

Selon le midrash, Yossef connait même les soixante dix langues de la terre, ce qui signifie qu’il a la connaissance universelle.

Yossef face à Yéhouda

Un texte de la guémara Sota oppose Yéhouda et Yossef :

אמר ר” שמעון חסידא: יוסף שקדש שם שמים בסתר זכה, והוסיפו לו אות אחת משמו של הקב”ה דכתיב: עדות ביהוסף שמו

« Yossef qui a sanctifie le nom du ciel (qui a servi Dieu) en secret, a vu ajoutée à son nom, une des lettres du nom de Dieu, comme récompense. »

יהודה שקדש שם שמים בפרהסיא זכה, ונקרא כולו על שמו של הקב”ה כוון שהודה

“Yehouda qui a sanctifie le Nom en public, a dans son nom la totalité du tétragramme, car il a reconnu. »

Un Hé a été ajouté au nom de Yossef, dans le psaume lu le Jeudi, parce qu’il a servi Dieu en secret. עדות ביהוסף שמו

Mais Yehouda, qui a servi ouvertement, a dans son nom la totalité des lettres יהודה. Le midrash ajoute à propos de Yéhouda la mention « il a reconnu », une allusion à l’affaire de Tamar. Son nom contient la racine du verbe reconnaitre, remercier להודות, מודה.

Yossef sait rester Juif chez lui, alors qu’il est un prince égyptien à l’extérieur. Il épouse même une fille du pays. Même devant ses frères, il garde son masque égyptien, et se sert d’un interprète.

Yéhouda au contraire, serait le Juif qui met ses téfilines dans le train, devant tout le monde. Son nom intègre les lettres du Tétagramme.

Voila campés les deux personnage, et les deux visages du peuple juif, l’un selon Yossef, l’autre selon Yéhouda.

Vaygash

Revenons maintenant à notre parasha.

Lorsque Yossef déclare son intention de retenir Binyamin prisonnier, « Yéhouda s’approcha de lui ». Le midrash traduit : c’est une confrontation violente, une confrontation entre deux rois, le roi des nations, Yossef, et le roi d’Israël, Yéhouda.

Le discours que tient Yéhouda devant Yossef est à double sens. Pour le midrash, il est dur et d’une grande agressivité.

Dans le texte de notre parasha, Yéhouda termine sa plaidoirie en mentionnant leur père Yaakov : « Mais comment pourrais-je retourner vers mon père sans l’enfant et voir le malheur qui atteindrait mon père ? »

Yossef se fait alors connaitre. Larmes, émotion..

Le midrash lui, a une autre lecture :

Lorsque Yéhouda voit qu’il parle à un mur, qu’il n’arrivera à rien, il se concerte en apparté avec ses frères, et ils prennent la décision de détruire l’Egypte. Lorsque Yossef entend cela, il se dit : « il vaut mieux que je me dévoile à mes frères… ».

Que donnerait, en termes actuels, l’affrontement entre Yéhouda et Yossef ?

Frankel imagine une rencontre entre le Maitre d’une grande yéshiva, et un personnage juif célèbre (Blum, Mendès ou Kissinger). Il imagine le rav dire à son interlocuteur « toute cette énergie que tu investis pour la cause des peuples, si tu l’investissais en termes de Tora, avec tes capacités… »

Et l’autre lui dirait « mais que faites-vous pour le monde ? Vous ne vous préoccupez que de cas particuliers, la lame du shohet, le niveau du mikveh… »

 

Selon A. Frankel, la tentative de Yossef n’a de consistance que dans l’acceptation de la parole de Yéhouda.

Shabbat Shalom

Dvar Charles et Herve JUDAISME