Parashat REEH – Herve REHBY chapitre 2

Parashat REEH – suite Dvar Tora

Dans son introduction au traité Ketoubot, le Rav Steinsaltz explique que la KETOUBA, contrat de mariage, est précisément un mot, et non un adjectif ou un participe au féminin, dérivé de la racine verbale KTB écrire. Le mot KETOUBA veut donc dire « un écrit, un document écrit ». IL rajoute en note que ce mot est construit sur le modèle de … SEGOULA. Il aurait pu choisir d’autres mots, phonologiquement similaires comme NEVOUA ou même KEDOUSHA, mais le choix s’est porté inconsciemment ( ?) sur SEGOULA ; peut-être que cette note ouvre une perspective intéressante sur le mot SEGOULA lui-même, car il s’agit bien d’un mot. L’habitude des lectures étrangères et des traductions nous avait presque fait oublier que SEGOULA n’était pas l’adjectif de AM/peuple. Le mot AM est toujours masculin alors que le forme SEGOULA est obligatoirement féminine. Impossible donc de traduire « peuple ELU, ou peuple PARTICULIER, etc… ». Le mot SEGOULA devient donc un complément du nom AM, par une Smikhout – état construit. Ainsi, la remarque de R. Steinsaltz nous invite à rechercher la racine verbale de SEGOULA. Son intention cachée était bien là dans le choix du rapprochement entre KETOUBA et SEGOULA. Le mot SEGOULA est construit sur la racine SGL inutilisée dans les textes antiques. La forme la plus usitée jusqu’à l’époque moderne est la forme réflexive HISTAGUEL qui signifie « s’adapter à une nouvelle situation ». Une Alya réussie nécessite une parfaite « Histaglout / adaptation », comme chacun le sait.
La notion de SEGOULA est donc dérivée du concept d’adaptation. Être AM SEGOULA, c’est surtout se montrer capable / MESOUGAL, d’adaptation / SEGOULA, nécessaire au progrès, à l’évolution naturelle, historique et technologique. Dieu semble donc investir le peuple d’Israël de la capacité d’adaptation qui lui sera nécessaire pour rester debout, après plus de 3000 ans d’épopée, toujours en cours. En rapportant cette capacité aux changements et aux modifications adaptatives, à l’application des Mitsvot, la Tora nous enseigne les fondements d’une Loi, inlassablement étudiée, profondément scrutée dont la finalité reste de s’ADAPTER aux besoins du temps et de l’espace, dans la fidélité aux idéaux des origines. La valeur (Segoula au sens populaire) du peuple juif tient donc à sa capacité d’être AM SEGOULA / un peuple de l’adaptation.
Après la destruction du Temple de Jérusalem en 70, la qualité de SEGOULA / adaptation est devenue impérative, pour que nous puissions traverser une Histoire qui ne s’annonçait pas facile. En réponse aux lectures infantiles d’élection, de rivalités projetées par les chrétiens et les musulmans à l’endroit des juifs, le midrash a produit d’inestimables textes qui méritent une relecture attentive.
On lit ainsi dans le Midrash Sifré : « Durant les 3jours de préparation d’Israël au don de la Tora, Dieu vint proposer la Tora à toutes les nations du monde ; et elles ne l’ont pas acceptée…il l’a proposé aux enfants de Esaü. Ils demandèrent : qu’y a-t-il dans la Tora ? Il répondit : Tu ne tueras point. Ils refusèrent la Tora en rappelant que leur ancêtre reçut comme « bénédiction » : Tu vivras par ton épée ! (Gen.27/40). Il alla chez les enfants d’Ismaël qui demandèrent aussi ce qu’il y avait dans la Tora. Dieu leur dit : Tu ne voleras pas. Ils la refusèrent arguant que leur ancêtre avait été appelé « Homme sauvage, qui a sa main dans tout / ידו בכל » (Gen.16/12) … Et Il n’y eut pas de peuple chez lequel il n’alla pas proposer la Tora, et tous la refusèrent ».
Le Sifré est compilé aux alentours su 3ème siècle ap. JC ; à cette époque le combat politique et théologique contre les chrétiens était à son apogée ; c’est à cette époque aussi que Esaü a été déclaré l’ancêtre des chrétiens, idée absurde quoique ressassée jusqu’à aujourd’hui (mais c’est une autre histoire à développer Parashat Vayishlah).
Ce midrash appelle beaucoup de commentaires ; nous en diront l’essentiel. Dieu a proposé la Tora à tous les peuples de la terre, affirmant ainsi son universalité. Mais Il le fait en insistant sur une loi différente a priori épineuse pour chaque peuple. Aussi chaque peuple a refusé la Tora au nom de son attachement à une parole antique qui les avait constitué et organisé en peuple en son temps. Le meurtre pour Esaü, le vol pour Ismaël, la débauche pour Moab, etc… Dieu leur avait demandé en acceptant toute la Tora, de rompre avec l’attachement aux imprécations d’antan, d’en finir avec la fatalité et la prédestination qui faisait d’un descendant d’Esaü un meurtrier potentiel. Ils ne savaient pas que la Tora contenait aussi ce principe de désaliénation par rapport à la transmission des fautes paternelles : « chaque homme mourra pour ses propres fautes – איש בחטאו יומת » (Deut.24/16). Que demandait Dieu à tous les peuples de la terre ? simplement de pouvoir aller au-delà, de rompre avec l’enferment d’une malédiction, ou d’une bénédiction négative, d’abandonner en somme tout lien avec Avoda Zara / idolâtrie ou archaïsme superstitieux. Il leur demandait d’en finir avec la violence – le meurtre – et l’injustice – le vol et la spoliation – du passé, et de s’adapter à la nécessité d’un vivre ensemble pour que chaque peuple soit en somme un AM SEGOULA / peuple capable de s’adapter, de muer vers le mieux. Personne ne nait conditionné par une sentence ancestrale. Chacun peut à tous moments modifier le cours des choses et adapter son devenir aux besoins du temps et de l’espace.
Ainsi, le don de la Tora aurait pu être collectif et universel. Cela nous aurait épargné…bien des drames, à nous et à tous les hommes fils d’Adam. Mais l’histoire ne ressert pas les plats deux fois. V. Jankélévitch disait : « Il est une chose que même Dieu ne saurait faire ; faire que ce qui a été fait ne se soit jamais produit ».
La SEGOULA consiste donc, à la lumière des Mitsvot et de leur application temporelle, à parfaire le monde, à le façonner à ce que nous devenons, à l’adapter pour le développement de chacun et de tous.
Le Midrash Tanhouma enseigne aussi : « Dieu a proposé la Tora à tous les peuples du monde qui l’ont refusée, jusqu’à ce qu’il revienne vers Israël qui l’accepta » (MT V.Haberakha 4). Le texte, compilé au 7ème siècle, laisse penser le naturel de la réception de la Tora par Israël. Chacun sait que les choses n’ont pas été aussi faciles et évidentes. La Tora décrit Israël « aux pieds de la montagne / Tahtit Hahar / תחתית ההר » (Ex.19/17), comme on dirait communément, au pied du mur. Rashi cite le Talmud Shabat 88a : « Dieu renversa la montagne sur eux et leur dit : ou bien vous acceptez la Tora, ou ce sera ici votre tombeau ». Dieu n’a pas voulu risquer un refus d’Israël à l’instar des autres peuples. La réception fut donc un peu forcée ; et les rédacteurs de ce Midrash ont indiqué clairement que les juifs ne pensaient avoir aucun sentiment de supériorité et que leur « élection », si tant est qu’il y eut élection, s’était faite par défaut. Mais ces gages de bonne volonté et de relative dévalorisation ne suffirent pas, ou ne furent pas pris en compte. La concurrence des zèles religieux ne s’arrêtera plus, jusqu’à aujourd’hui. Le fait est aussi que, piqués au vif par le dénigrement des autres religions monothéistes, les juifs se sont évertués pendant 2000 ans à démontrer le bien-fondé de leur élection, elle qui n’avait jamais été véritablement actée.

Alors, AM SEGOULA / peuple doué d’adaptation !! Avons-nous besoin d’une élection pour cela ? Le verset qui nous a servi de référence utilise bien le verbe BAH’AR : « et l’Eternel t’a choisi / BAH’AR pour être pour Lui un AM SEGOULA / peuple remarquable d’adaptation, entre tous les peuples » (Deut.14/2). Ce verbe signifie sans conteste « choisir » ; mais il suggère beaucoup de remarques à suivre prochainement

Shavoua Tov – bonne santé – Hervé REHBY