Parashat REEH – Herve REHBY chapitre 3

Parashat REEH – Suite Dvar Tora III – Hervé REHBY

 

Le verset qui nous a servi de base à l’étude de cette notion malmenée de « peuple élu » a permis de discerner plusieurs points d’interprétation délicate par rapport au mot SEGOULA. Il n’en reste pas moins que le texte porte explicitement la mention d’un verbe, d’une volonté actée de CHOISIR, d’ELIRE, en hébreu BH’R.
Relisons donc !! : « כִּי עַם קָדוֹשׁ אַתָּה לַיהֹוָה אֱלֹהֶיךָ וּבְךָ בָּחַר יְהֹוָה לִהְיוֹת לוֹ לְעַם סְגֻלָּה מִכֹּל הָעַמִּים אֲשֶׁר עַל-פְּנֵי הָאֲדָמָה – Car tu es un peuple saint pour l’Eternel ton dieu ; et l’Eternel t’a CHOISI pour être pour Lui un AM SEGOULA / peuple capable d’adaptation, d’entre tous les peuples (Deut.14/2) ».
Le verbe BH’R n’a pas d’autre sens que CHOISIR dans la langue la plus ancienne. Le choix est toujours manichéen comme l’explique Rabenou Behayé à propos du choix que les fils d’Elohim firent des filles de l’homme, dans un passage difficile de Bereshit : « Les fils de Dieu virent que les filles des hommes étaient belles, et ils prirent des femmes d’entre toutes celles qu’ils choisirent / בחרו / BAH’AROU » (Gen.6/2). R. Behayé dit : « ils les prirent – c.à.d. par la force, par le viol – résultat du choix qu’ils firent ».
On entend ici que CHOISIR est souvent (car rien n’est absolu surtout en matière de langage) lié à un acte délibéré, forcé, exercé sous la contrainte. Plus nous faisons référence aux temps anciens et plus cette notion nous apparait caricaturale. Les femmes étaient donc choisies ; rares étaient celles qui choisissaient, ou qui étaient libres de refuser ; ce comportement sociologique est encore vivace, ça et là, peut-être même pas loin de chez nous. CHOISIR une femme était donc un acte unilatéral ; et la choisie, « l’heureuse élue de son cœur » se devait de …s’adapter (précisément), de s’y faire, comme l’on disait naguère. Si elle s’accommodait, et finissait par se penser et se croire heureuse, on pouvait dire à son mari qu’il avait vraiment trouvé une perle très accommodante, une SEGOULA en somme.
Au-delà de l’humour qui en dit parfois long, ce lien entre choix et contrainte avec toujours un caractère sine qua non, confirme la lecture du Midrash sur le choix forcé d’acceptation de la Tora par Israël, menacé d’écrasement sous la montagne en cas de refus.
En guise de CHOIX ??
La construction du verbe BH’R / choisir se fait habituellement avec la préposition BE / ב qui exprime l’intériorité. Plusieurs citations du Tanakh portent la marque de cette originalité grammaticale. On dit « BAH’AR BANOU » littéralement « il a choisi EN nous » pour dire « il nous a choisi ». La plupart des verbes se construisent simplement et directement avec la préposition Ete / את.
Le verbe BH’R peut se conjuguer aussi sans préposition : « וַיִּבְחַר מֹשֶׁה אַנְשֵׁי-חַיִל / Moshé choisit des hommes de guerre » (Ex.18/25) ou encore plus rarement avec la préposition Ete comme on peut le dire dans Bereshit : « ויִּבְחַר לוֹ לוֹט אֵת כָּל-כִּכַּר הַיַּרְדֵּן / Loth choisit toute la plaine du Jourdain » (13/11). Son choix est ici aussi sans appel, sans négociation, et imposé à son oncle, Avraham.
Pourquoi ce verbe se construit-il donc avec la préposition Bé/ dans – en, suggérant une recherche d’intériorité. Notre maitre, R. Shimon Bensoussan, expliquait que BH’R / CHOISIR se comprenait selon deux modalités : le choix extérieur, et le choix intérieur ou caché. CHOISIR quelqu’un, quelque chose, ou un peuple sur l’extériorité, c’est privilégier, l’esthétique – la Grèce, la force – Rome, la discipline – l’Egypte, la démesure ou l’hubris – la Mésopotamie etc…
L’extériorité c’est aussi le quantitatif, le grand nombre. Dans la parasha Vaeth’anan on lit : « לֹא מֵרֻבְּכֶם מִכָּל-הָעַמִּים חָשַׁק יְהֹוָה בָּכֶם וַיִּבְחַר בָּכֶם כִּי-אַתֶּם הַמְעַט מִכָּל-הָעַמִּים – Dieu ne vous a pas désiré à cause de votre grand nombre, mais il vous a choisi parce que vous êtes le plus petit des peuples » (Deut.7/7). Le choix se fait donc sur la base de l’insignifiance, de la valeur intimiste, sur la qualité enfouie. Ce que Dieu a choisi d’Israël, c’est ce que nous avions EN NOUS / banou – בנו, cette SEGOULA / capacité à nous adapter.
Une autre explication / davar aher – notons que davar aher peut aussi signifier « parole de l’Autre », invitation à écouter l’autre dans son étrangeté radicale. A méditer
Une analyse des différents versets contenant toutes les formes verbales de BH’R montre que l’usage de la forme BH’R BE est plutôt relative à un CHOIX constant, non discutable et surtout permanent. Il en est ainsi du CHOIX du peuple d’Israël pour recevoir la Tora « בך בחר ה / Dieu t’a choisi – BEKHA BAH’AR » (Deut.14/2). Il en est ainsi de même pour la royauté donnée à David « וַיִּבְחַר ה בִּי…מֶלֶךְ עַל-יִשְׂרָאֵל לעולם / Dieu m’a choisi – BAH’AR BI – roi sur Israël POUR TOUJOURS – Léolam » (Ch.28/4). La construction du verbe BH’R avec BE suggère donc un sens permanent et éternel.
Pour le CHOIX / ELECTION de la tribu de Lévi, affectée au sacerdoce, les versets montrent la progressivité de l’ELECTION à la charge du service du Temple. La tribu de Lévi est d’abord désignée / choisie de manière circonstancielle, en Egypte même, avec la forme verbale BAH’AR ETE « וּבָחֹר אֹתוֹ מִכָּל-שִׁבְטֵי יִשְׂרָאֵל לִי לְכֹהֵן לַעֲלוֹת עַל-מִזְבְּחִי לְהַקְטִיר קְטֹרֶת – Et ne l’ai-je pas CHOISI – BAH’OR OTO (et non BO) – de toutes les tribus d’Israël pour être mon prêtre ? » (I Sam. 2/28). Le Malbim donne un commentaire à lire avec intérêt sur ce verset. Apres la libération d’Egypte et l’abstention de toute idolâtrie lors de l’épisode du Veau d’or, le choix de la tribu de Levi devient permanent : « בָּעֵת הַהִוא הִבְדִּיל ה’ אֶת שֵׁבֶט הַלֵּוִי לָשֵׂאת אֶת אֲרוֹן בְּרִית ה’ – à cette époque, Dieu mit à part – HIVDIL – la tribu de Lévi, pour porter l’arche d’Alliance » (Deut. 10/8). Cette HAVDALA / séparation équivaut à l’évidence, et comme le soulignent tous les commentateurs, à une sanctification – KEDOUSHA qui signifie précisément mise à distance (voir Rashi sur la Kedousha). Cette ELECTION de Lévi au service du Temple avec lignage exclusif d’Aaron pour la prêtrise / KEHOUNA, sera définitivement scellée et pour l’éternité, avec Pinhas, petit fils d’Aaron : « וְהָ֤יְתָה לּוֹ֙ וּלְזַרְע֣וֹ אַחֲרָ֔יו בְּרִ֖ית כְּהֻנַּ֣ת עוֹלָ֑ם – A lui et à sa postérité l’alliance d’une prêtrise éternelle » (Nb. 25/13).
ELECTION ET CHOIX / BEH’IRA se retrouvent associés à la recherche de l’intime, de la plongée au plus profond de l’être, pour découvrir les ressorts de l’accommodation et de l’ADAPTATION / SEGOULA au temps et à l’espace qui sont les nôtres « ובכל דור ודור – et à chaque génération ». Un verset des Psaumes rappelle ce lien fragile et pourtant indestructible au regard de l’Histoire de la Galout : « כִּי-יַעֲקֹב בָּחַר לוֹ יָהּ יִשְׂרָאֵל לִסְגֻלָּתוֹ – car Dieu a CHOISI /BAH’AR Jacob, et Israël pour sa CAPACITE d’ADAPTATION / LI-SEGOULATO » (PS.135/4). Jacob et Israël ne font qu’un ; pourtant Jacob incarne la permanence d’où l’association avec BAH’AR, tandis qu’Israël reste attaché à l’accomplissement de la Loi, fluctuante selon les époques, et soumise à toutes les variations de la marche du monde – Israël est bien le lieu de la SEGOULA, où s’organise la pérennité de la Loi dans son incessante adaptation. Cette SEGOULA fait de la Tora et de ses Mitsvot un aspect déterminant de la modernité et du progrès constant du Judaïsme.
Quelle concurrence à une élection chimérique peut-on désormais maintenir avec les autres peuples et religions monothéistes ? A la lumière de l’exigence de la Tora, cette rivalité parait bien dérisoire et ne peut que se conclure par le dernier verset de Qohélet : « אֶת־הָאֱלֹהִ֤ים יְרָא֙ וְאֶת־מִצְוֺתָ֣יו שְׁמ֔וֹר כִּי־זֶ֖ה כָּל־הָאָדָֽם – Crains la justice de Dieu, et garde Ses lois, car là se résume tout l’Homme » (Ec.12/13).

Bonne étude. Et bonne santé.
A suivre Hervé REHBY

Dvar Charles et Herve JUDAISME