Parashat REEH – Herve REHBY chapitre 1

Parashat REEH – Herve REHBY chapitre 1

Dvar Tora– Parashat REEH – 

Dans cette parasha de REEH, Moshé poursuit ses recommandations testamentaires aux Bné Israël.
Il vient rappeler un élément fondamental du rapport du peuple Hébreu à son Dieu.
La confiance que le peuple met en Dieu et en sa Tora se trouve couronnée par une expression simple et difficile à la fois, à l’endroit du peuple d’Israël :
« כִּי עַם קָדוֹשׁ אַתָּה לַיהֹוָה אֱלֹהֶיךָ וּבְךָ בָּחַר יְהֹוָה לִהְיוֹת לוֹ לְעַם סְגֻלָּה מִכֹּל הָעַמִּים אֲשֶׁר עַל-פְּנֵי הָאֲדָמָה –
Car tu es un peuple saint pour l’Eternel ton dieu ; et l’Eternel t’a choisi pour être pour Lui un AM SEGOULA / peuple précieux entre tous les peuples (Deut.14/2) ».
Cette expression עם סגולה – SEGOULA – peuple précieux, de valeur, élu etc. … selon les traductions, est au centre d’une des crises majeures de l’Histoire de l’humanité.

Depuis que la Tora inspirait la foi, la morale, la justice et le comportement d’Israël, aucun peuple n’était venu contester à Israël sa conception du rapport au divin et au spirituel.
Les peuples qui entouraient Israël étaient tous paganistes, polythéistes et n’avaient aucun échange compétitif avec Israël. Qu’Israël se dise SEGOULA /bien précieux de Dieu n’avait aucun écho alentour.
Chaque peuple peut après tout se prétendre le meilleur, le plus intelligent ou le plus moral. Il ne s’agit en fait que de prétentions internes aptes à assurer la cohésion du groupe ou de la civilisation en cause.
Tout change avec la naissance du christianisme, qui nait dans le judaïsme comme un mouvement messianique, parfaitement cohérent avec les aspirations juives du temps d’alors.
Rapidement (en 3 siècles tout de même), le schisme s’opère entre judaïsme et christianisme naissant.
Les théoriciens du messianisme chrétien déclarent la Tora caduque pour les goyim convertis, et surtout s’attribuent l’appellation de AM SEGOULA, traduit par « peuple Elu ».
Ils déclarent que l’Eglise est désormais le véritable ISRAEL, en latin VERUS ISRAEL, et que le peuple élu c’est l’Eglise et les chrétiens, par la théorie de la substitution (juste après la destruction du 2eme Temple en 70).
La compétition était née.
Elle ne pouvait venir que de l’intérieur du peuple juif.
Les juifs christianisés opposaient leur vue universelle du monothéisme juif, renvoyant les juifs fidèles à la Tora à une position plus intimiste, personnelle et nationale.
Le drame, c’est que les juifs de cette époque ont accepté de jouer le jeu.
Ils ont essayé de justifier une élection qui n’avait jamais eu lieu au sens propre, et de démontrer qu’ils étaient AM SEGOULA au sens que leur dictait les chrétiens, au présent, alors que le sens du verset fixait ce terme comme un but et une aspiration, dépendants d’une mission préalable.
Au passage, on oublia le sens ancien du mot SEGOULA employé dans la Tora.
Notons que cette expression est répétée 4 fois dans la Tora ; d’abord dans l’Exode (19/5 ) sans le mot AM/peuple, dite par la parole e dieu ; puis 3 trois dans le Deutéronome (7/6 -26/18) et dans la parasha de cette semaine REEH (14/2) où l’expression est redite et confirmée par Moshé, comme le rappel inaltérable d’une promesse divine en relation avec les lois alimentaires qui constituent un HOQ / axiome sans explication logique à priori.
Ainsi, tous les commentateurs de la Tora, tous postérieurs à la naissance du christianisme et à la rivalité imposée par les chrétiens, s’évertuent à expliquer le mot SEGOULA sous la forme d’une élection.
Rashi explique « Trésor précieux » dans le sens des Targoumim qui traduisent par « peuple de Chéris – חביבין – pour Dieu ».
En pleine expulsion des juifs de France en 1306, Hazekouni écrit son amertume, et explique AM SEGOULA ainsi : « « C’est le privilège (de Dieu) de nous élever au-dessus des autres peuples, car la terre entière lui appartient ».
Ibn Ezra déplace un peu le sens en traduisant SEGOULA par « unique et sans égal » et Sforno explique « SEGOULA – caractère précieux, même si le genre humain est de valeur (égal) ».
Or Hahayim comprend le risque de la surenchère de la rivalité entre Judaïsme et Christianisme, complétée à son époque (1720/Maroc) de la revendication d’élection de l’Islam en expansion, et écrit « « le caractère précieux du peuple juif – AM SEGOULA – concerne la qualité des juifs dans l’application de la Tora et des Mitsvot », comme on le lit dans le début du verset de l’Exode « Si vous écoutez ma voix et gardez mon alliance, vous SEREZ ( au futur תהיו לי ) pour moi SEGOULA / précieux d’entre tous les peuples ».

Le caractère de SEGOULA n’est donc pas un adjectif attaché à l’être juif.
Les juifs ne constituent pas une humanité biologiquement différente, ou encore moins une branche supérieure du développement du genre humain, faut-il le rappeler.
Nous sommes tous les enfants d’Adam puis de Noah, avant que chacun ne fasse son chemin.
La notion de SEGOULA est un état de perfectibilité dans l’accomplissement des lois de la Tora, et dans l’application à développer la justice, et la paix dans une humanité violente et réfractaire à l’idée de Loi.
Les commentateurs pré-modernes ne sont pas en reste.
Le Gaon de Vilna écrit en pleine période de persécutions polonaises (1760 environ) « ישראל נקראו סגולה – מלמד שכל אחד מישראל חשוב לפניו יותר מכל העמים’ – Israël est appelé SEGOULA – au sens où chaque juif est plus important à ses yeux (Dieu) que tous les peuples !! ».
On entend le ressentiment circonstanciel, mais pas la recherche du sens profond du mot, en dehors de toute actualisation.
Philon d’Alexandrie explique à juste titre que les philosophes grecs, mais aussi les théologiens non juifs, s’égarent en supposition erronées par la mécompréhension du Tanakh et de sa langue d’écriture, l’hébreu.
Combien vraie reste encore cette remarque qui s’applique aussi aux juifs non hébraïsants de notre temps.
Quel est donc le sens ancien du mot SEGOULA, détourné et déformé par une polémique stérile avec nos héritiers monothéistes et devenue sujet d’intérêt et de conflit planétaires.
En remontant le temps, on remarque que les juifs d’Alexandrie ont traduit le mot SEGOULA en grec avant toute cette affaire de rivalité et de pseudo-élection.
Ils ont chaque fois traduit par le mot grec PERIOUSIOS – qui signifie « excédent, en plus, en abondance ».
Il est possible de comprendre AM SEGOULA par peuple plus riche, de biens ou d’avoirs ; le sens est tentant mais ne s’accorde pas avec l’éthique de la Tora qui s’exprime par les Pirké Avot : « Ne soyez pas comme des ouvriers qui servent leur patron en vue de recevoir un salaire » (1/3). L’accomplissement des Mitsvot est parfaitement gratuit et ne s’accorde avec aucune récompense, promise et encore moins calculée.
Alors le terme de SEGOULA s’applique évidemment au surplus de lois et de service spirituel, qui fait la spécificité de la Tora par rapport aux autres hommes appelés Bné NOAH/ les noahides.
La SEGOULA est relative à la multiplication des ordonnances ; elle ne confère aucune supériorité élective. Celui d’entre les non juifs qui veut participer à cette SEGOULA est accepté et valorisé par la Tora, même si le prosélytisme n’est pas une entreprise active au sein du Judaïsme. La Loi s’applique à lui comme aux autres juifs, avec les mêmes devoirs et titres comme celui de SEGOULA.
Cette SEGOULA comprise en termes de surcroit de devoirs est d’ailleurs inscrite dans les versets cités : « לִהְיוֹת לוֹ לְעַם סְגֻלָּה כַּאֲשֶׁר דִּבֶּר-לָךְ וְלִשְׁמֹר כָּל-מִצְוֹתָיו – un peuple SEGOULA / de plus de devoirs, comme il te l’a dit, DE GARDER TOUTES SES MITSVOT » (DEUT. 26/18).

La SEGOULA consiste bien en l’acceptation d’un surcroit – appelé trésor ou richesse métaphoriquement – de devoirs et de Lois pour le service de Dieu et pour le mieux-être permanent de l’Humanité.
Notons encore que le mot grec PERIOUSIOS signifie « élu, choisi », à partir des textes chrétiens comme en attestent les dictionnaires les plus sérieux. D’où l’influence passive sur les commentateurs juifs confrontés aux thèses messianiques chrétiennes de leur temps.

Cette étude appelle un développement à suivre ב”ה . Il vous parviendra à partir de Motsaé Shabat.
Cette approche peut être délicate mais n’a pour but que d’ouvrir les chemins élargis de l’étude, sans esprit de polémique stérile.
J’écris cela dans l’esprit du Gaon de Vilna qui étaient un savant dans toutes les disciplines de l’esprit et des savoirs profanes, et sur les traces du Rav Steinzaltz זצ”ל qui a toujours voulu élargir son / notre étude aux sciences et aux questions du monde tel qu’il va – תנצבה

SHABAT SHALOM – bonne santé et bonnes études – Hervé REHBY

Dvar Charles et Herve JUDAISME