Dvar Tora – Parashat Shoftim – Hervé REHBY

Dvar Tora – Parashat Shoftim – Hervé REHBY

Dvar Tora – Parashat Shoftim
Hervé REHBY

La parasha de Shoftim / les Juges, nous rappelle de nombreuses Mitsvot liées à l’exercice de la Justice et du culte sacrificiel.
La constitution du peuple d’Israël dans son espace national est intimement liée à l’apprentissage et à l’exercice d’une loi commune.
Cette Loi, la Tora, devait être connue de la plupart comme l’exprime l’adresse familière de Moshé par l’emploi de la 2ème personne du singulier « TU TE donneras des Juges… TU poursuivras la Justice… TU ne dresseras pas de pierre… etc » comme l’avait fait Dieu précédemment.
La Loi reste étrangère à son application et à son caractère pédagogique si elle ne s’adresse pas directement à chacun d’entre nous.
Les Mitsvot liées à l’action des Léviim et des Cohanim doivent être également connues de chacun, car le culte du Temple n’a de sens et de réalité tangible que par son lien avec le comportement du peuple, collectivement et individuellement.
La connaissance et l’apprentissage de la Tora devait conduire jusqu’à aujourd’hui, chaque juif, à intégrer la Loi comme naturelle.
Les Romains considéraient la Loi comme dure et imposée, quand les juifs proclamaient dans les Psaumes « מה אהבתי תורתך – combien j’ai aimé ta Tora ; tout le jour elle est ma discussion » (119/97).
L’attachement et l’engouement d’Israël pour sa Loi n’a pas d’équivalent dans toute l’histoire de l’Humanité.
La question se pose donc de son devenir dans le temps.

Nous lisons dans notre parasha : « כִּ֣י יִפָּלֵא֩ מִמְּךָ֨ דָבָ֜ר לַמִּשְׁפָּ֗ט…דִּבְרֵ֥י רִיבֹ֖ת בִּשְׁעָרֶ֑יךָ …ועָלִ֔יתָ אֶל־הַמָּק֔וֹם אֲשֶׁ֥ר יִבְחַ֛ר הי – Si une affaire est trop difficile pour toi… sujets de querelles dans tes portes, tu monteras au Lieu que l’Eternel choisira » (Deut.17/8).
L’obligation toraïque – דאורייתא – d’avoir des juges dans chaque ville du pays vise à l’instauration d’une société de paix et d’harmonie.
Multiplier la Loi c’est au mieux participer à l’entente et à la solidarité des humains, ici en l’occurrence des Bné Israël.
Ainsi le formule R. Shimon ben Gamliel dans les Pirké Avot : « Le monde tient sur 3 choses/paroles : sur le Droit, sur la Vérité et sur la Paix » (1/18).
Moshé avait accepté le conseil de son beau-père, entériné indirectement par Dieu.
Les Shoftim /juges mis en place pour le futur de la nation juive devaient avoir 4 qualités décrites par Ytro « אנשי חיל – hommes de valeur, craignant Dieu, épris de vérité et haïssant la prévarication » (Ex.18/21).
La tora dit que Moshé nomma des « hommes de valeur », sans répéter les autres critères suggérés par Ytro.
Il semble que le seul critère commun à tous fut la valeur, non celle du combat (suggérée par le mot H’ayil / militaire), mais plutôt la valeur de l’intelligence.
Nos maitres illustrent ce rapprochement en passant par la Guematria ; le mot H’ayil en hébreu vaut 48 comme le mot Moah’/מח qui signifie l’esprit /le cerveau /la capacité de réflexion, nécessaire à tout un chacun évidemment, mais encore plus à ceux qui rendent la Justice, au nom de la Tora.
Ibn Ezra explique que « Moshé ne rechercha que la chose la plus sure, la valeur intellectuelle.
Il ne fit pas mention de la crainte de Dieu (ou de la soif de vérité) car il connaissait le(s complexités du) cœur de l’homme ».
Sforno rajoute : « Moshé ne trouva pas d’homme qui eut en lui toutes la qualités requises par Ytro ; il choisit donc des gens compétents /בקיאים, capables de démêler une affaire pour aboutir à une conclusion juste ».
Retour sur l’humilité des prétentions humaines.
Sforno rajoute qu’être craignant Dieu ne garantit pas l’application d’une Justice…juste !!
Le Malbim amplifie la volonté de Moshé de privilégier l’approche « laïque » de la désignation des juges d’Israël en remarquant que le terme de « hommes de valeur /אנשי חיל ‘’ de la Parashat Ytro, est développé en trois termes dans le début du Deut. « Désignez-vous des hommes SAGES / חכמים, INTELLIGENTS / נבונים, et RECONNUS / ידועים pour mettre à la tête de vos tribus » (Deut.1/13).
Ces 3 adjectifs qualifient toujours ce caractère d’intelligence, de cérébralité qui doit prévaloir chez les Juges.
On comprendra ici l’emprunt de la Haggadah « ואפילו כלנו חכמים … », mais c’est un autre filon à développer.
Hizkouni précise : « Chacun peut juger de la sagesse de son prochain (peu ou prou) ; mais juger de sa crainte du Ciel c’est impossible ».
Dans notre parasha, Moshé a pris soin de préciser les bases d’une éthique du Droit et du comportement des Juges : « Tu n’infléchiras pas le jugement…Tu ne prendras pas d’argent de la corruption / שוחד / Shoh’ad ; car le SHOH’AD aveugle les yeux des sages et fausse les paroles des justes » (Deut.16/19). Qu’en est-il de la crainte du Ciel, ou de la soif de vérité ?
Ce sont des choses intimes qui ne sauraient être mesurées, et a fortiori imposées ou normées.
Ainsi, la présence de juges dans toutes tes portes, implique que la Justice est rendue localement, mais le recours ou l’appel est toujours possible comme on le lit dans le verset d’ouverture : « – Si une affaire est trop difficile pour toi… sujets de querelles dans tes portes, tu monteras (faire appel) au Lieu que l’Eternel choisira » (Deut.17/8).
Moshé précise que chaque génération aura ses juges : « Tu viendras auprès des prêtres et des juges qui seront là, en ces jours là – וּבָאתָ֗ אֶל־הַכֹּהֲנִים֙ הַלְוִיִּ֔ם וְאֶל־הַשֹּׁפֵ֔ט אֲשֶׁ֥ר יִהְיֶ֖ה בַּיָּמִ֣ים הָהֵ֑ם « .
Tous les commentateurs reprennent le traité Rosh Hashana (25a)pour dire que l’homme n’a pas d’autre choix que de vivre son temps, avec son temps, avec les gens – prêtres ou juges – de son temps.
Il n’est pas possible de vivre dans le miroir du passé ; depuis la nuit des temps, l’homme se fait l’écho de la nostalgie des origines, du passé, des ancêtres héroïques.
En 2 mots, le slogan « c’était mieux avant ». Il faut résister à cette envie de toujours criminaliser le présent, même si parfois la réalité donne raison à ce discours.
Le verset continue : « tu les interrogeras et ils te diront la parole du jugement ».
Un jugement est nécessairement donné pour son temps.
Il est impossible de refaire à contre-temps le procès de Socrate, ou celui de Dreyfus, ou celui de Nuremberg etc… Le droit est donc strictement contingent du temps et de l’espace.
Il faut avoir confiance aux hommes de son temps car ceux d’un temps révolu ne reviendront pas.
Il faut s’en persuader : « Une génération s’en va ; une génération s’en vient ; et le monde est toujours debout » (Ec.1/4).
Ou encore dans le Midrash Raba « Chaque génération et ses chefs, et ses commentateurs, et ses juges etc.. »
Pour explorer encore le sujet on lira avec intérêt les commentaires de ces 2 versets Qohélet : «Mieux vaut la fin d’une chose que son commencement » (Ec.7/8) et aussi « Ne dis jamais : Comment se fait-il que les jours d’autrefois étaient meilleurs que ceux d’aujourd’hui ? » (Ec.7/10).
Construire un monde juste, vrai et paisible n’est possible qu’avec les hommes, les femmes, les juges, les rabbins, les médecins, les maitres-nageurs, et les goyim de son temps.

Shabat shalom / Hodesh tov – Bonne santé – Hervé REHBY

Dvar Charles et Herve JUDAISME