Parashat Toledot

Parashat Toledot – פרשת תולדת
Beréshit chapitres 25 à 28

 

ואלה תולדת יצחק בן-אברהם אברהם הוליד את יצחק

« Voici la postérité d’Yitshak fils d’Abraham Abraham engendra Yitshak » (25/19)

Ce premier verset de Toledot, donne à penser qu’il s’agit de la parasha de Yitshak. Mais nous allons vite nous apercevoir que Toledot est plus la parasha de ses deux fils, Essav et Yaakov, que celle de notre deuxième patriarche.

Le conflit qui séparera les deux frères, a commencé très tôt, dès le ventre de leur mère selon le texte.

Alors qu’Yitshak a une préférence pour Essav…

כי-ציד בפיו – parce qu’il mettait du gibier dans sa bouche (Midrash : avec sa bouche, Essav manipulait son père)

 Rivka préférait Yaakov.

Ce conflit s’exprimera dans leur jeunesse, par la vente par Essav, de son droit d’ainesse au profit de Yaakov.

Puis il atteindra son paroxysme à l’âge adulte, lorsque…

ויהי כי-זקן יצחק ותכהן עיניו מראת…

“Il arriva, comme Yitshak vieillit, que sa vue était troublée.” (27/1)

Il appela Essav, et lui demanda d’aller ramener du gibier, de lui en faire un repas, afin qu’il le bénisse.

On connait la suite : Rivka a entendu et s’arrange pour qu’Yitshak précède Essav, et obtienne la bénédiction de son père.

Lorsqu’Essav revient et apprend ce qui s’est passé, il se lamente, et Yitshak le bénit également.

Puis, craignant que Essav veuille se venger de Yaakov, ses parents l’envoient chez Lavan, au « pays ». Non sans que Yaakov le bénisse une seconde fois.

Pourquoi Yitshak aimait-il Essav, malgré – ou à cause – de son caractère retors ?

Rabbi Meir

L’un des Tanayim  les plus connus, était Rabbi Meir. La Guémara, dans le traité Erouvim (13B), dit à son propos, que malgré sa dimension exceptionnelle, on ne fixa pas la Halakha d’après ses opinions.

Ses collègues ne savaient dans quel sens prendre ses prises de positions, car il était autant capable  de démontrer avec brio un point de vue, que son contraire.

Rabbi Meir était capable de démontrer qu’une chose impure était pure, et l’inverse. Et c’est cette audace qui faisait sa grandeur.

Il pouvait s’écarter du sens littéral d’un verset. En voici quelques exemples.

Le verset…

-Dieu contempla tout ce qu’il avait fait, et voici c’était Tov Méod (Beréshit 1/31).

Rabi Meir change Tov Méod (très bien), en Tov Mavet (bon pour la mort).

Ou encore…

-Dieu fit à Adam et à sa femme כתנות עור – des tuniques de peau : celles-ci deviennent כתנות אור-des tuniques de lumière. (3/21) Pour Rabbi Meir, le vêtement extérieur s’efface devant le vêtement intérieur.

Ou bien encore, à propos du verset…

-Vous êtes des fils pour l’Eternel votre Dieu (Dévarim 14/1), il enseigne : « tant que vous vous comportez comme des fils, on vous appelle « des fils », et si vous ne vous comportez pas comme des fils, vous n’êtes pas appelés « des fils. «  (Kidoushin 36/a)

 Rabbi Meir osait s’écarter du sens littéral, du Pshat, et donner des interprétations audacieuses.

La Guémara (Haguiga 15/A), raconte que Rabbi Meir avait été l’élève d’Elisha Ben Abouya, appelé Aher (l’autre). Il continua  de recueillir l’enseignement de son ancien maitre après sa disgrâce, car il était capable de faire le tri « entre le grain et l’ivraie ».

C’est cette audace qui fit de lui le plus grand des sages de sa génération.

Revenons maintenant aux bénédictions.

Lorsque Yaakov, se présente devant son père, recouvert du vêtement de Essav, Yitshak mange le repas servi par celui qu’il croit être Essav. Puis demande à son fils de s’approcher et de l’embrasser…

ויגש וישק-לו וירח את-ריח בגדיו ויברכהו ויאמר

ראה ריח בני כריח שדה אשר ברכו ה”

“Il s’approcha et l’embrassa; Ytshak respira le parfum de ses vêtements et il le bénit ; il dit :

« Voyez ! Le parfum de mon fils est comme le parfum des champs qu’a bénis le Seigneur… » (27/27)

Puis Yitshak continue de benir « Essav », lui promettant « la rosée du ciel et les graisses de la terre, l’abondance des moissons, la domination des nations et de ses frères, etc.

Lorsque Essav découvre qu’il a été trompé, il supplie son père de le bénir.

Yitshak lui promet de grasses contrées, et la rosée du ciel, ainsi qu’une vie par l’épée.

Comment comprendre cette préférence d’Yitshak pour Essav ? Quel est l’enjeu de ce conflit ?

Dans les phases de construction du peuple d’Israël, la personnalité des patriarches, et les valeurs qu’ils véhiculent, sont capitales.

Abraham a sanctifié Dieu aux yeux des nations, il fut appelé « אב המון גוים », « père d’une multitude de nations », et était connu de tous les peuples environnants.

Alors qu’Yitshak, donne l’impression d’un personnage plutôt effacé, voire passif.

Une guémara (Péssahim 85A) compare Abraham à une montagne, et Yitshak à un champ.

Abraham est comparé à un mont, en raison de sa notoriété et sa visibilité, alors qu’Yitshak était plus replié sur lui-même, et moins visible.

וכל הבארות אשר חפרו עבדי אביו בימי אברהם אביו סתמום פלשתים וימלאום עפר

« Tous les puits qu’avaient creusés les serviteurs de son père, du temps de son père Abraham, les Philistins les comblèrent, les remplissant de terre. » (26/15)

La Kabale (rapportée par le rav Amital) explique que les puits représentent les personnes qui avaient été converties par Abraham. Après sa mort, elles étaient retournées à leurs errements, du vivant d’Yitshak.

Il semble que l’action d’Abraham vis-à-vis des peuples environnants, fut abandonnée par Yitshak. Conscient de cet échec, il aurait voulu réparer cet état de fait, par l’intermédiaire de la génération suivante. A ses yeux, le plus apte pour reprendre cette mission parmi les nations, était Essav, et non Yaakov.

Yaakov était יושב אוהלים-séjournant dans les tentes (de la Tora). Quatorze ans d’études à la yéshiva de Shem et Ever ont certes fait de lui un grand sage, mais ne l’ont pas doté des capacités lui permettant de sanctifier Dieu parmi les nations.

Pour Yitshak, Essav avait précisément toutes les « qualités » pour cette mission : la ruse, l’audace, l’ouverture sur le monde. Un homme capable d’agir sur le monde et les hommes, dans la continuité d’Abraham.

Rivka aimait Yaakov car dès la grossesse, Hashem lui avait annoncé que « l’ainé servira le plus jeune ». Elle avait la certitude que c’est par Yaakov que passera la continuité d’Abraham.

Dieu lui-même n’a-t-il pas dit par la bouche du prophète Malakhi…

ואהב את יעקב, ואת עשו שנאתי

 « j’ai aimé Yaakov, et Essav j’ai haï ») 1/2-3)

Cependant, le Zohar rapporté par le rav Amital, donne de ce verset une explication intéressante…

שנאתי את הטפל בעשיו, אבל אהבתי את העיקר

« J’ai haï ce qui est accessoire chez Essav, mais j’ai aimé (chez lui) l’essentiel »

Le contexte de ce Zohar, est un texte de la Guémara Sotha (13/A), qui raconte que lorsqu’on s’apprêtait à enterrer Yaakov dans la grotte de Makhpéla, Essav a tenté de valoir qu’en tant qu’ainé, c’est lui qui doit être enterré là, et non Yaakov. Les frères envoyèrent Naftali en Egypte, afin qu’il rapporte les preuves de la vente du droit d’ainesse.

Mais dans l’intervalle, Houshim Ben Dan arriva et trancha la tête d’Essav.

La tête d’Essav fut enterrée à Makhpéla, et son corps ailleurs.

Il semble qu’on veuille nous apprendre que du point de vue de l’essentiel de sa personnalité marquée par l’audace et le culot (sa tête), Essav pouvait être enterré à Makhpéla.

Bien qu’Essav, d’un certain point de vue, ait pu être le continuateur d’Abraham, ce n’est pas lui qui a été choisi.

Mais, nous dit le Midrash, cette qualité d’Essav, Dieu n’a pas voulu qu’elle soit perdue pour le peuple d’Israël…et l’a faite réapparaitre chez un de ses descendants…Rabbi Meir.

Shabbat Shalom

 

Dvar Tora largement inspiré d’un texte du

Yéhouda Amital (zatsal)

Har Etsion